"Le lion, le lys et la croix", la relecture et les corrections se poursuivent.
Le long travail de relecture et de correction se poursuit. Je vous propose, à nouveau, le début du chapitre I. Il y a de nombreuses modifications par rapport à la première version. Mais le travail est encore loin d'être achevé... Cette nouvelle mouture n'est sans doute pas définitive...
I MONTGEY
Le soleil, à son zénith, écrasait Lavaur et la campagne qui la ceinturait. Face à la silhouette massive de la cité, Philippe de Morteban s’était assis à l’ombre, sous un arbre. Aucun souffle d’air ne venait atténuer la chaleur étouffante qui pesait, comme une chape de plomb, sur le camp croisé, au milieu duquel il attendait, depuis une petite heure déjà, son ami Raymond de Toulouse. La toile des tentes ne bougeait pas d’un pouce, pas plus que les sentinelles statufiées qui suaient, à grosses gouttes, sous leur casque de métal. Aucun bruit ne troublait le silence. Tous ceux qui le pouvaient restaient à l’abri du soleil et profitaient de la parenthèse qui leur était offerte pour prendre du repos.
Autour de lui, quatre papillons multicolores virevoltaient avec élégance, d’une herbe haute à un tronc d’arbre, d’un rocher à l’une des rares fleurs que les soldats n’avaient pas encore piétinées. Totalement étranger au drame qui se jouait, leur joyeux ballet faisait contrepoids au temps suspendu dans lequel se perdaient les hommes. Il les observa, un court instant, broyé par la terrible indifférence de la nature, puis reporta ses pensées vers la discussion qui venait de s’engager, dans le pavillon où Raymond de Toulouse s’était invité. Il scruta alors la ville avec intérêt.
Derrière ses remparts impressionnants, Lavaur, sur sa rive escarpée qui dominait l’Agoût, lui parut, elle aussi, engluée dans une torpeur, frisant le sortilège. Un calme trompeur émanait d’elle. Son cœur se serra à l’idée du désarroi qui, pourtant, devait miner le moral de ses habitants.
Il doutait, malgré lui, de la capacité de Raymond à imposer ses arguments à Simon de Montfort. Ses chances de le contraindre à rompre le siège lui semblaient quasiment nulles, et ce, en dépit du fait que l’ost ne soit pas en mesure d’interdire totalement les entrées et les sorties dans la place mal ceinturée. Par deux fois, déjà, la ville avait reçu des renforts qui n’avaient rencontré aucune difficulté à franchir les lignes croisées.
L’entrevue lui paraissait vouée à l’échec — Montfort avait trop d’orgueil pour accepter qu’on lui dicte sa conduite — mais il éprouvait une profonde admiration pour la constance et l’acharnement dont son ami faisait preuve. À vouloir intervenir personnellement dans des tractations qui ne le concernaient en rien — il n’était pas le suzerain des seigneurs de Lavaur — il s’exposait plus que nécessaire. Le danger ne venait plus tant de l’Église — sa rupture avec les légats du Pape, qu’il avait longtemps ménagés pour ne pas voir ses terres mises en proie, était prononcée — que de la réaction de ses nouveaux partenaires. Ils accepteraient mal sa volonté de s’imposer comme médiateur dans le conflit qui opposait Lavaur à la croisade. En agissant de la sorte, il fragilisait sa précaire et inconfortable position au sein du camp occitan qu’il n’avait rallié que fort tardivement. On le lui reprochait, sans relâche, toutes les fois que l’occasion s’en présentait. Il avait trop longtemps composé avec l’ennemi pour qu’on le traite comme un allié fiable. Beaucoup le méprisaient et considéraient toutes ses intentions, ou démarches, avec suspicion. Son acharnement à rechercher, à tout prix, un accord avec les Français le rendrait plus suspect encore et, à n’en pas douter, délierait, à ses dépens, la langue de ses rivaux. Conseiller à Montfort de céder face à Lavaur pour disposer des forces nécessaires à imposer sa loi sur le Carcassonnais frisait, en effet, la trahison.
Raymond n’avait cure de tout cela. Philippe le soupçonnait même de prendre un certain plaisir à ne pas se conformer au rôle que ses alliés entendaient lui attribuer. Peu lui importait la désapprobation des siens face à la satisfaction de contraindre Montfort, l’homme qui l’avait trop longtemps écrasé de son mépris et qu’il exécrait, à suivre ses avis.
Tout à ses pensées, il sursauta presque lorsqu’il vit Raymond sortir avec fracas de la tente de Simon et s’avancer vers lui, les traits déformés par la colère et l’humiliation. Avant même qu’il ouvre la bouche, il sut qu’une fois encore, malgré tous ses espoirs et les efforts qu’il avait dû déployer, sa médiation se concluait par un échec. Il en fut désolé pour lui, tout autant que pour Lavaur. Il se leva, alla à sa rencontre et posa, malgré tout, la question de rigueur.
– Alors ?
Raymond le prit par l’épaule et l’entraîna vers leurs chevaux qui paissaient à quelques mètres de là, sous trois arbres au feuillage rabougri.
– Venez ! Partons, sans tarder, de cet endroit maudit !
Sachant fort bien que le presser davantage, pour étancher sa curiosité, ne servirait à rien, il se contenta de le suivre en silence et d’adapter sa marche au pas lourd de son ami.
Ce n’est qu’une fois sur la route de Toulouse qu’il obtint une réponse.
– Ce chien tient absolument à prendre Lavaur par les armes ! Il refuse d’accepter mes propositions. Il n’a cessé de me répéter qu’il entendait être le maître chez lui.
– Vos cousins de Courtenay vous ont-ils apporté une aide ?
– J’aurais préféré les voir au diable ! Ils se sont, comme prévu, rangés derrière Montfort, en me conseillant de me mêler de mes affaires et de me soumettre à l’Église.
– Je suppose que vous vous êtes emporté ?
– Vous me connaissez Philippe. Je parviens à modérer mes réactions lorsque c’est nécessaire ! Je suis resté de marbre. Si j’avais explosé, Montfort en aurait tiré trop de satisfactions. Je n’ai pas non plus cherché à outrepasser mes prérogatives. Je sais, fort bien, que la ville doit une entière obéissance à Montfort puisqu’elle appartenait à Trencavel qu’il a dépouillé. J’ai tenté ce que j’ai pu pour lui porter secours. J’ai échoué.
Philippe hocha la tête. L’entrevue ne pouvait s’achever qu’ainsi. La suite des événements était facile à deviner.
– Il ne nous reste donc plus que la solution des armes.
– En effet, cette fois, la guerre semble inévitable.